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Une marche à travers l'Europe

(en cours)
Récit d'une traversée d'Europe à pieds en solitaire et par les montagnes, du détroit de Gibraltar à Istanbul.
randonnée/trek
Quand : 19/02/23
Durée : 400 jours
Distance globale : 6479km
Dénivelées : +181365m / -179470m
Alti min/max : -1m/3013m
Carnet publié par SamuelK le 08 oct. 2023
modifié le 06 mai
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
Précisions : Pour me rendre au départ : bus de Bordeaux à Tarifa. Pour le retour : en voilier par la méditerranée ?
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Vue d'ensemble

Le topo : Bosnie-Herzégovine et Serbie : Sarajevo > Užice (Republika Srpska, monts Tara) (mise à jour : 05 févr.)

Distance section : 207km
Dénivelées section : +4210m / -4336m
Section Alti min/max : 294m/1403m

Description :

17/12/2023 > 25/12/2023
210 km ; D+ 5,7 km ; D- 5,9 km

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Le compte-rendu : Bosnie-Herzégovine et Serbie : Sarajevo > Užice (Republika Srpska, monts Tara) (mise à jour : 05 févr.)


Après deux semaines à Sarajevo, je reprends la marche en hiver, direction la Serbie. Après un arrêt si long, c'est un nouveau départ, un nouveau saut dans l'inconnu, avec le vertige lors des premiers pas d'imaginer que je m'élance à nouveau pour des milliers de kilomètres. Je ressentirai quelques courbatures les premiers jours, cela ne m'était pas arrivé depuis mon départ depuis le sud de l'Espagne. En quittant le centre-ville de Sarajevo, je traverse un simple quartier résidentiel et la ville s'arrête nette, laissant la place aux montagnes, à la campagne, aux hammeaux. Je marche le long d'une ancienne voie ferrée dans une vallée étroite au dessus de la Miljacka, la rivière qui traverse Sarajevo. Après seulement trois kilomètres, je m'arrête dans une cabane de chasseurs où ces derniers m'invitent tout aussi gaiement que naturellement à m'asseoir à leur table, discuter et goûter toutes sortes de viandes et de rakijas. C'est une de mes dernières rencontres avec des bosniaques, je passe le même jour de la fédération de Bosnie-Herzégovine à la Republika Srpska, majoritairement peuplée de serbes. Les cathédrales orthodoxes remplacent alors les mosquées qui se font plus rares. Une vague de froid s'installe, qui laisse toutefois le soleil offrir son rayonnement pendant les quelques heures quotidiennes où il se déplace au-dessus de la cime des montagnes, faisant fondre la glace qui recouvre les arbres nus en pluie froide. Il fait moins 10°C la nuit. Le jour, l'activité physique de la marche et cette même chaleur téléportée du soleil à ma peau me font marcher avec plaisir et sans contraintes malgré la température négative. Parfois, je passe soudainement à l'ombre et dans la brume cachée du soleil, où je dois instantanément me couvrir, où la visibilité est faible et l'atmosphère silencieuse et glaciale, où le verglas ne fond jamais mais au contraire s'épaissit au cours de l'hiver, ce qui me vaudra quelques gamelles.


En décidant de me diriger vers la Serbie que je traverserai aussi principalement par les campagnes, je choisis d'aller plus au contact et à la rencontre des gens, ce qui d'une manière est plus compliqué et incertain que de marcher et bivouaquer seul en montagne. Cela demande un effort différent, me sort d'une certaine zone de confort et m'expose à une autre dimension de la marche que je souhaite explorer, vivre, tester. Durant les quelques jours que je passe en Republika Srpska jusqu'à la frontière serbe, hasard ou pas, je ne sais pas, je ne parle à presque personne. La froideur humaine que je ressens au contact des personnes croisées s'allie à la froideur hivernale. On ne répond souvent pas à mes "Dober dan", on me regarde passer d'un air que je perçois aussi surpris que méfiant, la tête pivotant lentement, le regard inquisiteur. On m'ignore parfois, et aussi, encore, on me demande si je suis un migrant. Ma réponse négative permet alors à mon interlocuteur de repartir rassuré. Une fois, deux fois, et même plus, ne sont pas coutumes. Je ne souhaite pas encore une fois dresser des généralités, surtout négatives, à partir d'une expérience aussi courte que personnelle. J'espère que le mois de marche qui débute, jusqu'à rejoindre les montagnes bulgares, offrira plus d'interactions humaines.


Cinq jours après être parti de Sarajevo, j'arrive sur les bords de la Drina, un des principaux fleuves de Bosnie-Herzégovine, qui marque une partie de la frontière avec la Serbie. Ici, le fleuve d'un bleu à la fois sombre et turquoise, creuse des gorges vertigineuses entre des flancs rocheux. Depuis les hauteurs des gorges, je découvre ce fleuve que j'attendais, et descends au village de Međeđa posé sur la berge. Comme un bosniaque me l'avait suggéré lorsque j'étais à Konjic, me soufflant l'idée pour la suite de ma marche, je me présente et demande si je peux dormir dans la mosquée du village. L'imam accepte naturellement, avec la spontanéité et l'évidence de rendre service, surtout lorsque cela ne coûte rien, mais nécessite j'imagine juste un minimum d'empathie et de confiance. Je passe une bonne soirée et une bonne nuit dans cette mosquée, lieu de vie chaleureux et accueillant. L'appel à la prière matinal enregistré et programmé me sort du lit plus efficacement que le réveil de mon téléphone. Ce jour-là, je marche vers la ville de Višegrad. J'avais l'idée de tracer mon itinéraire en passant par cette ville, ce qui a été rendu possible en décidant de continuer ma route par la Serbie. Cette envie me vient de la lecture du livre "Le pont sur la Drina" d'Ivo Andrić, qui se passe à Višegrad. Le livre raconte l'histoire de la ville et plus vastement de cette région d'Europe depuis le début de l'occupation ottomane jusqu'au déclenchement de la première guerre mondiale, à travers la construction et la vie du pont majestueux qui traverse la Drina. Depuis Međeđa, je remonte sur les hauteurs des gorges pour éviter de marcher sur la grande route qui longe le fleuve, et plonge à nouveau dans Višegrad, me rapprochant du fameux pont sorti d'entre les nuages. C'est remarquable, le pont correspond tout à fait à l'image que j'avais projetée à la lecture du livre. Un pont long et large, composé de grandes et belles arches, avec de petits rebords en pierre et sa place centrale, la kapia, où l'on peut s'asseoir et où - cela semble moins le cas aujourd'hui - a lieu l'essentiel de la vie sociale.


En repartant de Višegrad, je marche mon dernier jour en Bosnie-Herzégovine et me dirige vers la frontière serbe. Ayant un tampon d'entrée en Bosnie-Herzégovine sur mon passeport, je me dois de quitter le pays par un poste-frontière officiel. Il n'y a alors qu'une possibilité pour me rendre à la frontière depuis Višegrad : marcher 22 kilomètres sur un important axe routier. En réalité, je pense à une deuxième option : marcher sur la voie ferrée qui suit la même route, de l'autre côté de la rivière Rzav qui a elle aussi creusé des gorges et une vallée étroite en cette région montagneuse. Ce chemin de fer dans la montagne a été construit entre 1903 et 1906 sous l'empire austro-hongrois à un prix exorbitant. La ligne emprunte de nombreux ponts et tunnels. Côté serbe, elle forme même un grand huit dans les montagnes pour pouvoir gagner progressivement en altitude. C'est sur cette ligne qu'a été tourné le film "La vie est un miracle" d'Emir Kusturica. La ligne n'est aujourd'hui plus utilisée mais a été partiellement restaurée pour un usage touristique. En hiver, elle n'est pas en service, je peux marcher dessus et me laisser guider par son tracé jusqu'à à la frontière serbe, entre ponts et tunnels dans ce canyon. Arrivé au poste-frontière, je fais patiemment la queue pour présenter mon passeport, à pieds au milieu de la file de camion, avançant comme eux par à-coups de quelques mètres. La scène est caucasse. Une centaine de mètres après la frontière, je suis exempté de payer la "taxe verte" de mon véhicule. Me voilà en Serbie. Après un mois et demi en Bosnie-Herzégovine avec mes arrêts à Konjic et Sarajevo, je me suis habitué au pays. Il en est ainsi terminé des cafés bosniens quotidiens, servis dans leur service en cuivre et accompagnés d'un loukoum, des bureks et autres tartes servies à tous les coins de rue, des minarets qui dépassent de chaque petit hammeau et sonnent l'appel à la prière cinq fois par jour, ainsi que de tous ces détails qui façonnent le quotidien et qui m'étaient devenus familiers, comme s'ils étaient aussi éternels que le cycle du soleil et de la lune, et ne pouvaient pas s'éteindre avec le passage d'une frontière pour appartenir à une page du voyage. Une fois de plus, de multiples éléments changent, ou restent identiques, comme la langue commune dont je peux approfondir l'apprentissage de rudiments.


Je m'apprête à traverser la Serbie dans sa partie sud qui comporte peu de montagnes. Ainsi soit-il, ma marche sera moins technique, plus rapide et régulière, plus au contact d'une campagne agricole et de ses habitants. Toutefois, lorsque cela est possible, j'ai naturellement dessiné mon itinéraire prévisionnel pour qu'il emprunte quelques massifs. C'est le cas dès mon entrée en Serbie où je monte dans les monts Tara qui forment une partie de la frontière avec la Bosnie-Herzégovine. Même modeste par sa superficie, cela faisait bien longtemps que je ne m'étais pas retrouvé dans un environnement beau et sauvage comme celui-ci, confortable et stimulé dans ma solitude, ma marche, et là où je suis. Je traverse des forêt et des prairies qui se succèdent, où des piles de foin témoignent d'une activité agricole toujours existante, mais où de nombreux bâtiments et granges abandonnés témoignent également d'un abandon progressif, comme on me le confirmera. Lorsque je marche sur la route, je croise de grandes stations touristiques modernes visiblement réservées à une classe aisée minoritaire. Une fois de plus, j'ai la sensation de traverser des réalités mitoyennes dans l'espace, mais si éloignées voire ignorées ou inconnues dans les faits. Une fois de plus, le tourisme est plus rentable que l'agriculture et la remplace froidement, pour apprécier une nature délaissée et à peine regardée à travers les vitres des SUV et des hôtels qui l'un comme l'autre, rivalisent de grandeur et de confort, de mégalomanie. Une fois de plus, je ne peux m'empêcher de penser que c'est une mauvais pari sur l'avenir.


En quittant les monts Tara, je marche vers la ville d'Užice au cours d'une longue et épuisante journée de marche. J'y arrive de nuit en descendant dans les gorges de la Đetinja. Au cours de la descente en forêt, j'entends puis rencontre une chouette effraie que je suis et observe avec fascination dans sa chasse nocturne, jusqu'à ce qu'elle s'envole trop loin pour que je puisse continuer. Arrivé au fond de ce sillon, je marche en longeant la rivière, la lune éclairant mes pas et les parois rocheuses de part et d'autre. Après trois journées conséquentes dont cette dernière de 37km, j'arrive éreinté, mes muscles ayant besoin de récupérer. D'une journée prévue, je reste deux jours me reposer à Užice. Cette ville, aujourd'hui centre économique de l'ouest de la Serbie, a une histoire récente particulière. En 1941, les partisans communistes de Tito ont repoussé les forces nazies qui occupaient le pays et ont proclamé la République d'Užice, du nom de sa capitale, qui englobait l'ouest du pays. Cet État exista 67 jours avant d'être repris par les forces nazies. Après la fin de la seconde guerre mondiale, la ville fût même renommé "Titovo Užice" (l'Užice de Tito) jusqu'à la chute du régime communiste en 1992.


Comme je le disais, l'entrée en Serbie marque la fin du chapitre bosnien où j'ai marché 420km sur 15km de dénivelé. Mon itinéraire est consultable et téléchargeable ici : https://link.locusmap.app/t/3nng6i

Une vague de froid s'installe, et la température qui descend jusqu'à -10°C la nuit reste négative le jour. Le soleil fait fondre la neige en pluie sous les arbres, l'ombre cristallise le sol et la végétation.
Une vague de froid s'installe, et la température qui descend jusqu'à -10°C la nuit reste négative le jour. Le soleil fait fondre la neige en pluie sous les arbres, l'ombre cristallise le sol et la végétation.
Sur la ligne de chemin de fer Višegrad - Mocra Gora
Sur la ligne de chemin de fer Višegrad - Mocra Gora
Premières vues au-dessus de la Drina.
Premières vues au-dessus de la Drina.
Višegrad...
Višegrad...
...et son pont de l'époque ottomane.
...et son pont de l'époque ottomane.
En voilà un qui n'hiberne pas encore.
En voilà un qui n'hiberne pas encore.
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