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Une marche à travers l'Europe

(en cours)
Récit d'une traversée d'Europe à pieds en solitaire et par les montagnes, du détroit de Gibraltar à Istanbul.
randonnée/trek
Quand : 19/02/23
Durée : 400 jours
Distance globale : 6479km
Dénivelées : +181365m / -179470m
Alti min/max : -1m/3013m
Carnet publié par SamuelK le 08 oct. 2023
modifié le 06 mai
Mobilité douce
Réalisé en utilisant transports en commun (train, bus, bateau...)
Précisions : Pour me rendre au départ : bus de Bordeaux à Tarifa. Pour le retour : en voilier par la méditerranée ?
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Vue d'ensemble

Le topo : Karaburum > Istanbul ! (mise à jour : 25 mars)

Distance section : 68.4km
Dénivelées section : +822m / -838m
Section Alti min/max : -1m/159m

Description :

20/03/2024 > 21/03/2024
70 km ; D+ 1200 m ; D- 1200 m

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Le compte-rendu : Karaburum > Istanbul ! (mise à jour : 25 mars)


Je pars à 12h de Karaburum, ce qui n'es pas très malin pour une journée de 40km, j'arriverai forcément de nuit. C'est parti pour deux jours de marche en zones péri-urbaines et ubraines. En entrant dans une ville de 16 millions d'habitants comme partout ailleurs, je traverse toujours l'espace tel qui est, tel que nous l'avons transformé, et sillonne une multitude de mondes physiques et humains, toujours si contrastés et motoyens. Je quitte le bord de la mer noire pour me diriger vers le Bosophore et la mer de Marmara, sur une bande de terre qui s'amincit jusqu'au détroit. Je marche sur la route dans une campagne bien plus dense que celles que j'ai parcourues jusqu'à présent en Thrace turque, puis traverse quelques villes périphériques d'Istanbul, ici situées à côté de l'aéroport. Je dois marcher quelques kilomètres le long de l'autoroute et d'autres gros axes routiers, où j'ai le temps de considérer du regard toutes ces infrastructures qu'on ne découvre sinon jamais à pieds. Ces routes, ponts, aéroports, empruntés par des dizaines ou des centaines de milliers de personne quotidiennement, ne le sont pourtant que dans le confort et la vitesse d'une voiture, c'est fait pour. Nous ne nous exposons pas avec nos corps et à vitesse d'humain à la réalité crue de ces espaces nécessaires à l'existence d'une ville. Y être à pieds est original ou marginal, pénible ou amusant. En quittant l'autoroute, je marche lentement quelques kilomètres dans une zone boueuse en construction avec un cortège de chiens errants, jusqu'à rejoindre le début de la banlieue d'Istanbul. Je suis au plus proche des avions que je contemple atterrir et décoller depuis ce matin, il en passe plus d'un à la minute. Il est vrai qu'on se dépêche de cramer le pétrole qui nous reste et dont la production est déjà en décrue, 8% va pour l'aviation qui profite à 7% des terriens.

Changement d'atmosphère : je retrouve à Arnavutköy le traffic urbain, le bruit, la densité de population qui vit dans tout types d'habitations du bidon-ville à la villa. Je parcours au coucher du soleil cette zone vivante où règne toujours un climat de proximité qui se mélange à l'immensité des métropoles. La nuit tombée, j'entre dans une grande zone légèrement vallonnée, sans habitations mais où cohabitent des fermes maraîchères, une mine, le pont d'autoroute qui passe au-dessus, et une végétation arbustive et épineuse où je vois et entends une vie animale qui habite là au milieu des déchets. À 22h et après avoir marché 40km entre campagne, autoroute, aéroport, banlieue, et chemins de terres parfois boueux ou marécageux, je trouve un petit abri de pique-nique à l'entrée d'un parc où l'espace est plus aménagé. Je m'y arrête sans hésiter, maintenant que je suis suffisamment loin des chiens et que j'ai de quoi m'abriter de l'humidité saturante. Je ne me rendais pas compte qu'il faisait 0°C. Je mange rapidement et file fatigué dans mon sac de couchage où je m'endors en quelques minutes.

Après une nuit recupératrice, j'émerge avec les rayons du soleil qui m'atteignent et me réchauffent depuis le dessus des collines, puis je plis bagage pour entammer cette dernière journée de marche vers ma ligne d'arrivée. Je rencontre un couple de promeneurs qui m'offrent un café au moment de repartir, je commencerai donc cette étape finale à nouveau à 12h. Mon heure d'arrivée se voit à partir d'ici constamment reculée par rapport à mes estimations. À l'issue du parc, je traverse un premier viaduc ottoman en franchissant aisément une barrière. La construction est belle, je suis encore en dehors de l'urbanisme, seul à marcher à travers les arches de cet aqueduc avec le clapotis de l'eau de part et d'autre. Plus loin et après des portions qui me surprennent ici car dignes de passages montagneux délicats, un deuxième aqueduc ottoman n'est pas aussi facile à traverser. Si je fais demi-tour, j'arriverai à destination demain... Un homme qui se demande ce que je fais là (ce qui est réciproque d'ailleurs), après m'avoir dit que cet aqueduc là n'est pas franchissable, me montre un tunnel en haut de l'édifice, dans lequel on peut descendre par une échelle de fortune au travers d'un conduit étroit. J'hésite et décide de marcher sur l'aqueduc, cela me paraît plus simple et après tout, même si ça fait un peu peur, c'est largement pratiquable et il n'y a aucune raison de tomber. L'homme reste assis à fumer paisiblement en attendant de me voir gagner l'autre rive, pour vérifier que tout va bien. Bon une fois engagé dessus, je regrette un peu mon choix mais m'y suis embarqué. J'avance lentement et avec sûreté jusqu'à l'autre extrémité de l'aqueduc, où je découvre qu'il n'est pas possible de regagner la rive : la hauteur à sauter est indéniablement trop grande, je ne suis pas cascadeur. Ma décision est vite prise : je fais demi-tour sur quelques mètres et entre dans le tunnel par une des fines ouvertures régulières qui y amènent un peu de lumière. Je jette mon sac en premier puise glisse à l'intérieur, là j'ai l'impression d'être un cascadeur amateur. Lorsque j'atterris dans le couloir sombre et en même temps que je prends connaissance de l'endroit, je sursaute en entendant un homme me parler à quelques mètres de là. J'allume ma lampe frontale et me dirige vers la sortie du tunnel. Il y a effectivement quelqu'un, à l'évidence à l'ouest pour me parler ainsi d'un flot continu. Je sens une odeur de solvant, visiblement cet homme vient ici dans cet endroit reculé pour se droguer... En quittant le tunnel puis cet étrange espace de nature qui semble caché, je me retrouve sur le parking d'un centre équestre avec sa clientèle aisée. Décidément, toujours cette même impression en marchant dans l'espace tel qu'il est : visiter des lieux voisins mais cloisonnés. Pour une dernière journée de marche en ville, je ne m'attendais à des péripéties dignes des sommets alpins !

À partir de là je suis et reste en ville jusqu'à l'arrivée. Une ville évidemment plurielle au cours des 20km restants sur mon itinéraire. Je marche d'un bon pas comme pour compenser mon retard pourtant dénué d'impératif. Je dois néanmoins me rendre à l'évidence qu'après ces premiers kilomètres et petites mésaventures, mon estomac se manifeste. Même si je compte filer jusqu'au bout, autant prendre le temps de manger un vrai repas. Je m'arrête dans une cantine où au moment de partir, la discussion s'engage avec Fatih et Ibrahim qui, apprenant ce que je fais, m'invitent pour un dessert et un thé, puis m'offrent carrément le repas. J'accepte et les rejoins à leur table. Tant mieux pour la rencontre, et ainsi soit-il pour mon heure d'arrivée une fois de plus repoussée.

C'est ensuite moi qui joue les prolongations en faisant un détour par un decathlon pour un achat tant attendu : un nouveau pantalon. J'ai le même depuis le début de ma traversée d'Europe. Il a marché plus de 6000km, a été porté pendant 13 mois et a été exposé à une panoplie de conditions. C'est un beau score pour un modeste pantalon ! Depuis quelques semaines en revanche, il craque de partout malgré mes réparations, et c'est avec un pantalon neuf - le même - que j'arriverai à Sainte-Sophie.

J'ai d'autre part sous-estimé le dénivelé de la ville, modéré par ses maximums mais omniprésent. Lui aussi me ralentit, de même que la pluie que je n'avais pas vu arriver. Je marche les derniers kilomètres jusqu'au centre-ville en enfilant mon poncho, ce qui me vaut des drôles de regards. J'arrive de nuit sur les hauteurs de la corne d'or, l'estuaire qui sépare en deux la partie européenne d'Istanbul. Je découvre les lumières de la ville qui se reflètent dans l'eau au bord de laquelle je descends.

Cette fois je suis dans le centre-ville, ou plutôt un centre-ville d'Istanbul. Je longe la corne d'or en repassant le fil chronologique de ma traversée d'Europe depuis Tarifa. Un fil que je parcours rapidement en chapitres successifs, comme s'il s'agissait d'un film au scénario succin, avec des scènes en particulier qui remontent ici et là à mon esprit. Aujourd'hui comme lors des derniers jours, je ressens peu d'émotions particulières d'arriver à mon objectif qui m'a occupé les jambes pendant une année, et la tête pendant plus que ça. Il m'est naturellement arrivé, lorsque je wagabonde dans mes pensées en marchant, d'imaginer mon arrivée à Istanbul, me voyant parfois fou de joie, euphorique, pleurant, embrassant des gens que j'aime, tout en y pensant à demi-mesure en réalité, l'objectif restant loin devant moi derrière l'horizon. C'est finalement d'une humeur assez neutre que je me dirige vers cette arrivée symbolique. C'est ainsi et c'est ok. J'ai appris au cours de cette marche, pas uniquement par le raisonnement intellectuel mais surtout par le vécu et les tripes, à modérer mes attentes. Tant que je marche au bord de l'eau et avant de regagner l'intérieur du centre-ville, j'enregistre des pensées dans mon dictaphone. Même sans ressentir de vives émotions, je suis content de cet accomplissement. L'accomplissement d'un projet, d'un rêve un peu fou, à la fois grand et à portée de main. Quoique ce que je considère comme réussites ou échecs, des notions à présent plus floues, une chose est certaine : je l'ai fait. J'ai traversé l'Europe à pieds. Pour en avoir tant rêvé et m'être tant projeté dans une telle marche, il m'est satisfaisant d'avoir donné vie et matière à ce rêve. De la projection et l'imagination parfois débordantes en amont, de m'en sentir capable ou pas, d'en avoir envie ou pas, j'ai réalisé cette traversée d'Europe avec le cadre et l'objectif que je m'étais donné, et c'est à présent une réalité, un vécu, une succession de 400 journées qui ont tracé une ligne sur la carte d'Europe. J'ai vécu la marche itinérante comme mode de déplacement et mode vie au long court, pendant 13 mois et 6000km. C'est un projet certes d'une certaine envergure, mais aussi simple et accessible. L'ampleur du temps sur les chemins, de la distance marchée ou du dénivelé grimpé est relative. Comme les paysages admirés, les personnes rencontrées, les plantes et les animaux contemplés, comme ma propre vie, cette marche est grande est peu à la fois. Loin du virilisme et de la mégalomanie qui sont en dissonance avec l'itinerance pédestre, je préfère considérer cette ampleur avec poésie. J'ai vécu pendant cette durée et cette distance : la solitude, la vie dehors, et la marche, trois grands aspects à mes yeux de ce cadre de vie. Trois aspects que je souhaitais vivre pleinement et durablement, auxquels je souhaitais me confronter et voir ce que ça donne. Je suis pendant cette année resté fidèle à ce cadre et à moi-même. Ce mode de vie était le mien, je l'ai choisi avec envie et l'ai maintenu précieusement, Cette originalité a été mon passeport pour rencontrer, discuter, provoquer des moments d'échange et susciter des émotions avec celles et ceux que ma route a croisés. Cette belle originalité que j'aime vivre et porter est aussi parfois difficile à assumer dans un monde où elle est marginale et souvent incomprise. En ce sens, seul, j'ai du rester fidèle à moi-même pour ne pas trahir et abîmer mon rêve aussi puissant que fragile. C'est un rêve qui fait sens et qui aussi me dépasse. On ne choisit pas ses rêves, ce qui nous fait rêver. On peut en revanche choisir de les cultiver et même de les réaliser. Quelle mystérieuse notion que le rêve. Beau, motivant, poétique, et parfois aussi obsessionnel à ne plus savoir comment le regarder. Je me suis projeté, ai cultivé et donné forme à ce rêve qui m'a longtemps appelé. Je l'ai vécu pendant 13 mois et à présent je l'ai réalisé. Bien sûr cette arrivée ne sonne pas la fin de ce rêve en moi, elle marque un accomplissement, l'atteinte d'un cap qui a donné la forme poétique de cette longue marche. Le rêve lui reste vivant, et renaîtra bientôt dans une autre poésie.

Après avoir longé l'eau quelques kilomètres, je regagne l'intérieur de l'ancienne Constantinople et me dirige vers la mosquée Sainte-Sophie. J'y arrive à 22h30. Une arrivée symbolique sobre et solitaire, à l'image je crois de cette traversée du continent. Je vais à présent me reposer et rester un temps à Istanbul.


Entre l'autoroute et l'aéroport, le pieds.
Entre l'autoroute et l'aéroport, le pieds.
Réveil pour ma dernière journée de marche vers Istanbul !
Réveil pour ma dernière journée de marche vers Istanbul !
Premier viaduc, très sympa à traverser, un lieu insolite en périphérie d'Istanbul.
Premier viaduc, très sympa à traverser, un lieu insolite en périphérie d'Istanbul.
Deuxième viaduc, moins aisé, je marche en haut pour le traverser et gagner l'autre rive. Je n'aurais pas imaginé de telles péripéties pour cette dernière journée en ville !
Deuxième viaduc, moins aisé, je marche en haut pour le traverser et gagner l'autre rive. Je n'aurais pas imaginé de telles péripéties pour cette dernière journée en ville !
Quand on arrive en ville
Quand on arrive en ville
Dans dix jours les élections.
Dans dix jours les élections.
La nuit tombe sur Istanbul. Il me reste encore quelques heures de marche jusqu'à la ligne d'arrivée.
La nuit tombe sur Istanbul. Il me reste encore quelques heures de marche jusqu'à la ligne d'arrivée.
Au bord de la corne d'or
Au bord de la corne d'or
La mosquée sultanahmet, ou mosquée bleue.
La mosquée sultanahmet, ou mosquée bleue.
Et en face la mosquée Sainte-Sophie !
Et en face la mosquée Sainte-Sophie !
Arrivé à la mosquée Sainte-Sophie à 22h30, mon point d'arrivée. En février 2023 je quittais Tarifa et le détroit de Gibraltar. Une année de marche plus tard me voilà arrivé au Bosphore !
Arrivé à la mosquée Sainte-Sophie à 22h30, mon point d'arrivée. En février 2023 je quittais Tarifa et le détroit de Gibraltar. Une année de marche plus tard me voilà arrivé au Bosphore !
La ligne que j'ai tracé à pieds sur la carte d'Europe en relief. Parti de Tarifa en février 2023, j'ai marché 6300km avec 220 000 m de dénivelé positif à travers l'Europe, pour arriver en mars 2024 à Istanbul. Marchant principalement par les montagnes et les campagnes, mon itinéraire a traversé l'Espagne, la France, l'Italie, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, la Bulgarie et la Turquie.
La ligne que j'ai tracé à pieds sur la carte d'Europe en relief. Parti de Tarifa en février 2023, j'ai marché 6300km avec 220 000 m de dénivelé positif à travers l'Europe, pour arriver en mars 2024 à Istanbul. Marchant principalement par les montagnes et les campagnes, mon itinéraire a traversé l'Espagne, la France, l'Italie, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, la Bulgarie et la Turquie.
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